Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : G:\Ebooks\Fabrication\00TeamAlexandriz\McNEILL,Graham-L'Hérésie d'Horus, Tome 8 Mechanicum Le savoir c'est le pouvoir (2009)\05 McNEILL,Graham-L'Hérésie d'Horus, Tome 8 Mechanicum Le savoir c'est le pouvoir (2009)pour epub_fichiers\image016.jpg

2.02

 

Elle était prise au piège dans l'obscurité. Elle essaya de se réveiller, mais il n'y avait que ces ténèbres dans toutes les directions, ininterrompues, impénétrables. Elle ne pouvait même pas penser en termes de direction car l'espace qui l'environnait semblait dépourvu de dimensions. Elle ne parvenait pas à savoir où se situait le haut et où était le bas, et elle n'avait aucune notion du passage du temps. Était-elle là depuis longtemps ? Elle n'en savait rien. Elle ne se rappelait pas de grand-chose.

Ses souvenirs étaient embrumés. Il y avait eu un temps où elle avait eu la liberté d'aller où bon lui semblait, elle se souvenait au moins de cela, un temps où elle pouvait se nourrir, engendrer, éteindre les étoiles à sa guise, mais à présent...

À présent, il ne lui restait plus que les ténèbres éternelles de la mort.

Non, pas la mort, mais alors le sommeil ? Ou peut-être un emprisonnement ? Comment savoir ?

Tout ce dont elle avait conscience, c'était que si ce n'était pas la mort, cela aurait tout aussi bien pu l'être, pour ce qui lui restait de pouvoir.

S'agissait-il de souvenirs ou d'hallucinations ?

Elle se percevait elle-même comme un être féminin, mais même cela ne signifiait rien. Quelle pouvait être la signification d'un genre ou d'un autre pour un être fait d'énergie et de matière pures ?

Son esprit vagabondait dans les ténèbres, mais elle ne parvenait pas à savoir si son esprit bondissait de galaxie en galaxie ou s'il ne se déplaçait que de quelques millimètres. Avait-elle voyagé durant une fraction de seconde ou bien durant la durée de l'existence d'un univers ?

Un bon nombre des dimensions qui occupaient sa pensée n'avaient aucune signification pour elle, et pourtant elle sentait bien qu'elles étaient toutes aussi ridicules les unes que les autres dans cette obscurité. Rien n'existait, ici, à part les ténèbres.

Rien.

Pourtant, ce n'était pas toujours vrai.

Parfois, il y avait de la lumière, de minuscules étincelles scintillaient brièvement dans l'obscurité, mais à peine les remarquait-elle qu'elles s'évanouissaient. Des déchirures lumineuses apparaissaient aussi parfois dans le tissu des ténèbres, des déchirures à travers lesquelles des éléments de son être pouvaient être attirés, des atomes d'existence arrachés à une existence aussi longue que celle d'une étoile. Elle les remarquait à peine, si ce n'est à cause de la promesse qu'ils portaient, la promesse d'un monde au-delà des ténèbres.

Elle voulut se concentrer sur l'une de ces trouées lumineuses, mais à peine avait elle remarqué sa présence que celle-ci disparut. Seul l'espoir de la voir revenir lui resta, tentateur. Ce n'était pas une vie. Cela n'était que l'essence pure d'une existence maintenue en équilibre, au bord de l'abysse de l'extinction, par les lois oubliées de la science des anciens.

Dalia.

Le son revint, à peine murmuré, à peine audible, peut-être imaginaire.

Dalia.

Ce mot rendait sa signification à la forme ; elle se mit à élaborer un sens des proportions et de la situation grâce aux concepts apportés par ces sons. À mesure que son environnement redevenait tangible, le sens de son individualité revint.

Dalia.

Ce nom était le sien.

Elle était un être humain... et pas une créature d'une dimension inimaginable, dont le pouvoir défiait le temps et l'univers matériel. En vérité, elle n'était pas certaine que le mot « créature » fût un terme suffisamment vaste pour définir la magnitude de son existence.

Elle ne vivait pas dans les ténèbres. Elle n'était pas une prisonnière qu'un geôlier en armure avait catapultée dans les profondeurs d'un monde sans lumière et attachée à l'aide de chaînes d'or.

Elle était Dalia Cythera.

Et, sur cette pensée, elle s'éveilla.

 

Sur Mars, l'information circulait par une multitude de moyens, portée par des millions de kilomètres de câbles, à travers des faisceaux de fibres optiques, dans des champs électriques nébuleux et grésillants, par des réseaux sans fil et des conduits hololithiques. Le fonctionnement exact des anciens mécanismes par lesquels communiquaient de nombreuses forges n'était pas connu, et les magi eux-mêmes, qui utilisaient pourtant ces moyens de communication, ne les comprenaient pas totalement.

Cependant, l'intégralité ou presque de ces moyens de transfert d'informations étaient vulnérables à l'influence corrosive des codes corrompus qui se déversaient comme un ichor bouillonnant des profondeurs d'Olympus Mons, au cœur de la nuit martienne.

La vague avançait, comme un raptor en chasse, attirée par l'arôme et le mouvement des flux d'informations. Tout ce qu'elle touchait était irrémédiablement dévoyé, et les lignes de codes élégantes et ingénieuses se métamorphosaient en choses viles et dépravées. Le merveilleux logus cliquetant et clignotant du pur langage machine, les glougloutements des données liquides, la lumière étincelante qui véhiculait les informations, tout cela se transformait en un vagissement plein de haine, le cri d'un être contrefait et plein de malveillance.

À la vitesse de la pensée, la chose se répandait à la surface de la planète rouge, s'infiltrait comme un assassin dans les réseaux des grandes forges martiennes, en y causant des dégâts indescriptibles. Les barrières des protocoles aegis tentèrent d'endiguer le flot, de lui interdire le passage, mais il les submergea en quelques instants par la puissance de son pouvoir d'invention diabolique et de sa férocité.

Quelques très rares maîtres de forges virent le danger arriver et furent assez rapides pour parvenir à couper toutes leurs communications extérieures, mais leurs propres systèmes étaient si étroitement liés aux réseaux généraux d'échanges d'informations de Mars qu'il leur fut impossible d'éviter toute exposition, si minime fût-elle.

En se répliquant à une vitesse terrifiante, le code gangrené trouva le point faible de chaque forge et déclencha une désastreuse cascade de pannes systèmes.

À Sinus Sabaeus, les chaînes d'assemblage aussi vastes que des continents des chars Leman Russ s'arrêtèrent brutalement, et des machines qui tournaient sans interruption depuis plus d'un siècle furent irrémédiablement paralysées. Elles ne devaient plus jamais redémarrer.

Dans les entrepôts de munitions de Tycho Brahe, une séquence de commande devenue folle fit monter la température des cuves de prométhéum, provoquant une déflagration catastrophique qui dévasta les niveaux inférieurs des entrepôts. Un ouragan de flammes liquides s'épanouit dans le cratère, donnant le coup d'envoi d'une série d'explosions dévastatrices qui ravagea la totalité des entrepôts, faisant sauter des milliards de tonnes de pièces d'artillerie et de munitions et rayant de la carte l'intégralité des propriétés du grand adepte Jaïgo.

Sur l'Acidalia Planitia, le Mémorial Schiaparelli, une gigantesque pyramide renfermant un trésor de données non encore révélées datant des premiers âges dans lesquels l'humanité avait commencé à acquérir la maîtrise des sciences ainsi que toutes sortes de sages grimoires recueillis au fil du temps, fut infecté par le code corrompu, et vingt mille ans de savoir disparurent, dévorés par une folie hurlante et destructrice.

Dans les forges martiennes, les sirènes d'alerte hululaient et les avertisseurs de rotation d'équipe bramaient au rythme des commandes et des contre-commandes émises en succession rapide par le code chaotique, comme si les forges hurlaient leurs protestations devant les outrages subis par leurs merveilleuses mécaniques. Les machines piaulaient et poussaient des grincements stridents, parcourues de courants électriques erratiques qui leur fouaillaient les entrailles en faisant exploser leurs circuits et en incinérant de délicats mécanismes qui ne pourraient jamais être réparés.

Aucun recoin de Mars, ou presque, n'échappa au code corrompu dont l'ambition augmentait à mesure qu'il gagnait du terrain et qui finit par enserrer la planète dans une toile de malveillance toujours plus resserrée.

Aux raffineries de produits chimiques de Vastitas Borealis, les vannes de dépressurisation s'ouvrirent et inondèrent les basses-ruches du bassin polaire septentrional, habitées par les ouvriers, d'un mélange d'isocyanate de méthyle, de phosgène et de chlorure d'hydrogène. Les nuages mortels descendirent lentement dans les bas-fonds de la ruche, tuant toutes les créatures vivantes sur leur passage. Au matin, plus de neuf cent mille personnes étaient mortes.

Comme s'il prenait plaisir à cette méthode, le code corrompu entreprit ensuite d'assassiner les astropathes de Medusa Fossae en altérant le mélange gazeux de leurs respirateurs de manière à ce que chacun des psykers finisse par inhaler du cyanure d'hydrogène pur. En quelques minutes, plus de six mille astropathes passèrent de vie à trépas après avoir poussé une plainte d'agonie collective qui fut ressentie jusque sous les voûtes des Cryptes impériales, sous la surface de Terra. Mars plongea dans un silence absolu.

Ipluvien Maximal fut l'un des rares individus qui eurent la chance de parvenir à couper tout lien avec le réseau avant de subir de dommages trop importants. Toutefois, trois de ses réacteurs à fusion, le long d'Ulysses Fossae, subirent une augmentation de masse critique, et les champignons de fumée résultant de leurs explosions montèrent vers le ciel avant de dériver vers l'est et le nord, irradiant pour l'éternité des milliers de kilomètres carrés de sol martien.

Le même scénario se reproduisit partout à la surface de la planète rouge. Submergées de commandes contradictoires, les machines se rebellaient. En l'espace de quelques minutes, le bilan grimpa de manière vertigineuse, et les victimes se comptèrent bientôt par millions. Les forges explosaient, des vagues de produits toxiques balayaient les manufactures, et d'immenses entrepôts de matériaux explosifs surchauffés sautaient les uns après les autres, dessinant des chapelets de déflagrations dévastatrices à la surface de la planète.

Dans les années suivantes, cette nuit fatidique devait rester dans les annales sous le nom de Massacre des innocents.

Seule la forge de l'adepte Koriel Zeth en réchappa, indemne. Les torrents de code corrompu refusèrent ou furent incapables d'emprunter les câblages dorés et étincelants qui avaient peu de temps auparavant véhiculé la lumière de l'Empereur. Comme des particules de fer chargées positivement qui s'écartent d'un aimant de charge similaire, les lignes du code chaotique évitèrent totalement la cité du magma.

Ce fut l'unique lueur d'espoir à briller dans les ténèbres de cette sinistre nuit.

 

Caxton et Zouche avaient bien besoin d'un rasage, et Séverine avait l'air de n'avoir pas dormi depuis des jours et des jours. Même Mellicin, l'imperturbable et rationnelle Mellicin, arborait une expression découragée après le désastreux échec de l'essai du décodeur akashique. Ils étaient tous assis autour du lit de Dalia, dans le quartier medicae, aux petits soins avec elle tandis que des serviteurs médicaux effectuaient des prélèvements de sang et contrôlaient l'évolution de son état.

La chambre sentait le contraseptique, le savon et la poudre abrasive que l'adepte Zeth aimait à utiliser pour entretenir son armure.

— Tu nous as fait une sacrée frousse, jeune dame, déclara Zouche en passant la porte de la chambre et en voyant que Dalia était éveillée.

Celle-ci fut touchée par l'expression d'émotion authentique qu'elle lut sur le visage du vieux technicien bourru.

— Désolée, répondit-elle. Ce n'était vraiment pas mon intention.

— Pas son intention, qu'elle dit, dit Caxton avec un rire forcé. Dalia vit les cernes noirs sous les yeux du jeune homme et ses paupières gonflées à force de pleurer. Elle arrache la porte d'une chambre noyée par l'énergie psychique et elle dit que ce n'était pas dans ses intentions !

— Eh bien c'est vrai, répondit Dalia, consciente de paraître assez idiote. Je ne pouvais pas laisser Jonas comme ça.

Aucun d'entre eux ne trouva la force de croiser son regard. Ils restèrent silencieux, partageant leur deuil.

Séverine avait été particulièrement affectée par la mort de Jonas, et Dalia lui prit la main. La sévérité qu'elle avait vue sur son visage, la première fois qu'elle l'avait rencontrée, s'était évanouie au cours des dernières semaines, et Dalia se sentit le cœur serré devant le regard éploré de son amie.

Ils n'avaient retrouvé aucune trace de Jonas dans la chambre du décodeur. Il ne restait même pas un atome de son corps physique pour témoigner qu'il avait vraiment existé. Aucun des psykers enfermés dans les caissons du dôme n'avait survécu au titanesque déchaînement d'énergie de l'Astronomican. Ils n'avaient retrouvé que leurs cadavres desséchés, atrophiés, recroquevillés en position fœtale.

En tout, la catastrophe avait fait deux mille trente-sept victimes. Ce chiffre pesait sur leurs épaules, comme une lourde chape d'adamantium. Ils ignoraient encore tout de la nuit de dévastation qui venait de se dérouler et ne savaient pas à quel point leurs pertes étaient légères, comparées à celles qu'avait subies le reste de la planète.

Dalia avait appris qu'elle était restée languissante, dans les griffes d'un coma ininterrompu, durant plus de sept jours, veillée par Caxton et une armée de biocontrôleurs et de caméras pix reliées au poste médical tout proche.

Elle avait également appris que Caxton avait refusé de quitter son chevet, malgré les promesses des autres qui lui avaient juré de se relayer pour prendre soin d'elle. Cela faisait cinq heures qu'elle était réveillée, mais elle avait passé la plus grande partie de ce temps à répondre aux questions de l'adepte Zeth. Ses amis venaient tout juste de recevoir l'autorisation d'entrer dans sa chambre.

— Que dit l'adepte Zeth au sujet de ce qui s'est passé ? lui demanda Séverine après l'avoir serrée contre son cœur et avoir versé quelques larmes avec elle. Elle doit être très déçue que la machine n'ait pas fonctionné.

— Pas fonctionné ? intervint Zouche avec un regard désapprobateur. Elle a subi une surcharge, mais elle a fonctionné exactement comme elle le devait, même si ça n'a pas duré longtemps.

— Qu'est-ce qu'elle t'a posé comme questions, Dalia ? demanda Mellicin en entrant aussitôt dans le vif du sujet.

Dalia vit leurs regards pleins de curiosité. Ils étaient avides de savoir ce qui s'était passé dans la chambre du décodeur akashique.

— Elle voulait que je lui raconte tout ce qui s'était passé dans la chambre et savoir tout ce que Jonas Milus m'a dit.

— Et alors, qu'est-ce qu'il a dit ? Demanda Caxton.

Elle lui prit la main et la serra, en levant les yeux vers la caméra accrochée dans le coin du plafond.

— Il est mort, répondit Dalia. Juste mort. Il ne m'a rien dit du tout.

 

Le médic la déclara apte à reprendre le travail le lendemain, et les six rotations suivantes furent passées dans la forge intérieure de Zeth, à réparer le décodeur akashique, à remplacer les pièces qui n'avaient pas supporté l'épreuve et à recalibrer celles qui avaient résisté.

Zeth et Dalia s'étaient basées sur des hypothèses, et à présent, elles payaient pour ne pas les avoir suffisamment approfondies. Dalia savait qu'elle aurait dû demander des précisions sur les chiffres fournis par Zeth, mais elle avait été tellement obnubilée par les plus petits détails du projet qu'elle n'avait pas songé à remettre en doute ces données chiffrées.

C'était une chose qui n'arriverait plus. On mit en place de rigoureuses procédures de double vérification et de test, et on ordonna que le travail de chacun des serviteurs soit vérifié par un adepte.

Les fils d'argent incrustés dans le dallage et les murs avaient fondu. On remplaça de nombreuses dalles en les équipant de câbles plus résistants. Chaque aspect de chacune des pièces de la machine fut examiné, réévalué, de manière à voir s'il était possible d'améliorer ses performances et s'assurer qu'elle ne lâcherait pas une nouvelle fois.

Des dizaines d'adeptes et de serviteurs s'affairaient sous le dôme, aux côtés de Dalia et de ses amis, mais l'émerveillement et l'allégresse du début avaient disparu. Seul le grincement mordant des disqueuses des serviteurs rompait le silence du dôme, tandis qu'ils ôtaient les dalles défectueuses et les emportaient.

Les caissons étaient vides. Aussi dérangeante qu'ait pu être la présence des psykers enfermés dans leurs logements lorsqu'ils avaient travaillé sous leurs yeux aveugles, tout le monde ressentait profondément leur absence à présent. Leurs alvéoles vides étaient comme un rappel sinistre de leur mort, causée par la machine sur laquelle ils travaillaient, et ils préféraient conserver le regard fermement fixé sur leur tâche.

Zeth ne discutait pas beaucoup avec Dalia car elle était obligée de passer la plus grande partie de son temps à remédier aux séquelles de leur expérience manquée. Elle leur laissa son apprenta, un magos du nom de Polk, pour diriger les travaux qui continuèrent sous sa supervision et celle de Rho-mu 31.

En une occasion, Dalia demanda à Rho-mu 31 pour quelle raison l'adepte Zeth était absente de sa forge, mais la réponse du protector ne l'éclaira pas beaucoup.

— Elle est retenue par des questions d'une grande importance, se borna-t-il à répondre.

Dalia avait imaginé que le décodeur akashique était la plus grande oeuvre de Zeth. Clairement, les conséquences de leur échec devaient avoir eu un tel retentissement que même une adepte de la stature de Zeth ne pouvait les ignorer. Lors des rares occasions où elle avait pu échanger quelques mots avec Zeth, elle s'était contentée de lui répéter que Jonas Milus ne lui avait rien dit.

Zeth acquiesçait de la tête, avec lassitude, mais Dalia pouvait lire le doute dans son aura noosphérique... en même temps qu'une crainte sourde et voilée qui lui fit soupçonner d'autres événements, beaucoup plus critiques qu'un simple échec à un test.

Elle n'était pas très sûre des raisons pour lesquelles elle répugnait tant à rapporter les paroles de l'empathe à Zeth ; tout ce qu'elle savait, c'était que la partie intuitive de son esprit, celle qui l'avait guidée dans la conception du décodeur akashique, lui soufflait qu'informer l'adepte de ce qu'elle savait (et qui, de toute façon, ne se résumait pas à grand-chose) pouvait s'avérer risqué, et même dangereux.

Le savoir, c'est le pouvoir, gardez-le bien. N'était-ce pas l'un des aphorismes bien connus du Mechanicum ?

Elle avait bien l'intention de protéger ce savoir avec le plus grand soin. Les personnes avec lesquelles elle oserait le partager n'étaient pas nombreuses.

Et l'adepte Zeth n'en faisait pas partie.

 

Les travaux étaient presque terminés. La tolérance et la capacité des récepteurs avaient été modifiées pour supporter la puissance accrue à laquelle l'appareil devrait résister lors de sa prochaine activation.

De nombreux mois s'écouleraient avant que Mars et Terra ne soient à nouveau alignées, mais le vaste réservoir de puissance psychique de l'Astronomican serait encore exploitable durant les quelques rotations à venir.

On était déjà en train d'installer de nouveaux psykers dans les caissons du dôme, mais aucun empathe n'était venu occuper le siège sur l'estrade, ce dont Dalia se sentait pathétiquement reconnaissante.

Alors que les travaux touchaient à leur fin, Dalia vint trouver Zouche et Caxton à l'établi où ils travaillaient sur l'assemblage du casque. Zouche s'était connecté au tour mécanique au moyen de dendrites qu'il avait extraites de son poignet, et il découpait une épaisse plaque d'acier. La scie laser hurlait comme une banshee.

Dalia grimaça. Ce gémissement suraigu lui vrillait le crâne.

La voyant arriver, Caxton lui sourit et la salua de la main. Alors qu'elle répondait à son sourire et à son salut, Zouche leva les yeux de l'établi et arrêta la scie.

— Dalia, dit-il en déconnectant ses mécadendrites et en levant ses lunettes de protection. Comment vas-tu aujourd'hui ?

— Je vais très bien, Zouche, merci, répondit-elle en jetant un regard oblique vers l'endroit où l'adepte Zeth et Rho-mu 31 observaient Mellicin et Séverine en plein travail. Pourrais-tu rallumer ta scie, s'il te plaît ?

— La scie ? Pourquoi donc ? demanda Zouche en regardant Caxton.

— Fais-le, s'il te plaît.

— Que se passe-t-il, Dalia ? demanda Caxton. Tu es sûre que tout va bien ?

— Je vais bien, répéta Dalia. Rallume la scie, je veux vous parler, mais je ne veux pas que quelqu'un d'autre puisse nous entendre.

Zouche haussa les épaules, se reconnecta sur l'établi et activa le laser. La plainte stridente monta de nouveau, et la platine de manipulation se remit à bouger, faisant évoluer la plaque d'acier autour de la scie. Zouche et Caxton se penchèrent vers elle pour entendre ce qu'elle avait à leur dire.

— L'inhibiteur que nous avons utilisé pour le décodeur, celui qui bloque les interférences extérieures et les empêche de perturber le casque de l'empathe, est-ce que tu saurais en fabriquer une version portable ?

Zouche fronça les sourcils.

— Portable ? Pourquoi ?

— Pour étouffer les capteurs vox et brouiller les pix, répondit Caxton qui avait deviné les intentions de Dalia.

— Oui, acquiesça Dalia, exactement.

— Je ne sais pas trop, répondit Zouche. Je n'aime pas beaucoup la notion de secret. Il ne sort jamais rien de bon de ce genre de choses.

— Écoute, tu peux le faire ou pas ? insista Dalia.

— Bien sûr qu'on peut le faire, répondit Caxton avec une expression pleine de malice sur son visage juvénile. C'est très simple, pas vrai, Zouche ?

— Oui, ce serait très simple, concéda Zouche. Mais pour quelle raison veux-tu un appareil de ce genre ? Quel secret peux-tu bien avoir pour vouloir empêcher tout le monde de savoir de quoi il s'agit ?

— Il faut que je vous parle, à tous les deux, à Mellicin et à Séverine aussi, et j'ai besoin d'être sûre que nous serons les seuls à pouvoir entendre ce que j'ai à dire.

— Nous parler de quoi ?

— De ce que Jonas Milus m'a dit.

— Mais je croyais que tu avais dit qu'il ne t'avait pas parlé du tout, remarqua Caxton.

— J'ai menti.

 

Ils se retrouvèrent dans le refectoria, au moment du changement d'équipes ; c'était une immense salle résonnante d'échos, pleine de serviteurs chargés de recharger les buffets et de travailleurs affamés, subalternes et adeptes mêlés. Les rumeurs allaient bon train. Les quelques réseaux d'information encore fonctionnels étaient en effervescence et répétaient des nouvelles effrayantes dans lesquelles il était question d'accidents catastrophiques et d'incidents anormaux partout sur Mars.

Ils allèrent s'asseoir aussi loin que possible des oreilles indiscrètes, regroupés comme des conspirateurs. Cependant, au milieu de toutes les coteries qui les entouraient et qui étaient fort occupées à échanger leurs soupçons à voix basse au sujet des événements qui se déroulaient à l'extérieur des murailles de la forge de l'adepte Zeth, personne ne leur prêta la moindre attention.

Tandis qu'ils se serraient autour de la plus petite table qui puisse les accueillir tous, Dalia dévisagea ses amis d'un œil scrutateur, l'un après l'autre, essayant d'estimer quelle serait leur réaction devant ce qu'elle s'apprêtait à leur dire.

Caxton semblait ravi. Zouche avait l'air inquiet de ce qui lui semblait confiner à la conspiration. À voir la posture de Mellicin, il était évident qu'elle était mal à l'aise, et le visage de Séverine était aussi pâle et inexpressif que d'habitude, depuis la mort de Jonas Milus.

— Zouche ? interrogea Dalia. Tu l'as apporté ?

— Oui, ma fille, acquiesça Zouche. Il fonctionne. Personne ne peut nous entendre.

— Qu'est-ce que c'est que ce mystère, Dalia ? demanda Mellicin. Pourquoi nous as-tu demandé de nous rencontrer de cette manière ?

— Je suis navrée, mais je ne savais pas comment faire autrement.

— Faire quoi ? coupa Zouche. Je ne vois vraiment pas pourquoi nous aurions besoin de nous cacher comme des voleurs juste parce que ce fichu empathe t'a parlé.

Séverine redressa brusquement la tête, les yeux luisants.

— Jonas t'a parlé ?

Dalia acquiesça de la tête.

— Oui, il m'a parlé.

— Qu'est-ce qu'il a dit ?

— Pas grand-chose, admit Dalia. Et ce qu'il m'a dit n'avait pas beaucoup de sens à ce moment-là.

— Et maintenant ? dit Mellicin. La lumière blafarde du refectoria se reflétait sur la moitié métallique de son visage. D'après ce que tu nous as dit, on dirait que ses paroles ont plus de signification maintenant ?

— Eh bien, en quelque sorte. Je ne suis pas sûre, mais je crois.

— De la précision, Dalia, répliqua Mellicin. Rappelle-toi : de la précision en toutes choses. Pour commencer, dis-nous ce qu'a dit l'empathe.

— Jonas ! coupa sèchement Séverine. Il avait un nom. Écoutez bien, vous tous, il avait un nom et c'était Jonas.

— Je sais bien, répondit Mellicin sans se troubler pour autant. Dalia, si tu veux bien continuer.

Sentant tous les regards braqués sur elle, Dalia rougit et prit une profonde inspiration avant d'ouvrir la bouche. Pourtant, les mots lui vinrent facilement. Chacun d'eux semblait imprimé dans son cerveau comme une gravure à l'acide sur une plaque de verre.

— Il a dit : « Je l'ai vu. Tout le savoir de l'univers. » Et même s'il était devant moi, on avait l'impression qu'il parlait depuis un endroit très, très éloigné, comme s'il était de l'autre côté de Mars ou dans une caverne profondément enterrée.

— Et c'est tout ? demanda Mellicin.

Son visage anguleux traduisait une déception évidente.

— Non, continua Dalia. Je lui ai dit que j'étais désolée pour ce qui lui arrivait, et il m'a répondu qu'il ne voulait pas de ma pitié. Il a dit qu'il avait vu la vérité et qu'il était libre.

— Libre de quoi ? intervint Zouche.

— Je ne sais pas, répondit Dalia. Il a dit : « J'ai vu la vérité et je suis libéré. Je sais tout à présent. J'ai vu l'Empereur tuant le dragon de Mars... le grandiose mensonge de la planète rouge et la vérité qui secouera la galaxie et tout ce qui sera oublié par l'homme dans l'obscurité du labyrinthe de la nuit. » C'était horrible. Il avait la bouche pleine de flammes, et sa voix devenait de plus en plus faible à chaque mot.

— Le labyrinthe de la nuit ? demanda Caxton. Tu es sûre que c'est ce qu'il a dit ?

— Oui, absolument, répondit Dalia. Le labyrinthe de la nuit.

— Le Noctis Labyrinthus, souffla Mellicin, et Caxton acquiesça de la tête.

Dalia les regarda l'un après l'autre.

— Le Noctis Labyrinthus... Qu'est-ce que c'est ?

— Le labyrinthe de la nuit, c'est la signification de Noctis Labyrinthus, répondit Caxton.

— C'est un endroit ? demanda Dalia, ravie de voir que ces paroles qui lui avaient paru incompréhensibles avaient une signification, après tout. C'est une montagne ? Un cratère ? Qu'est-ce que c'est ?

Mellicin secoua la tête, et une membrane nictitante palpita sur son œil augmentique tandis qu'elle récupérait des informations dans ses bobines mémorielles.

— Ni l'un ni l'autre. Le Noctis Labyrinthus est une région de crevasses et de canyons, entre les hauts plateaux de Tharsis et la Valles Marineris, répondit-elle avec le débit mécanique de celui qui énonce le contenu d'un dossier mémoire interne. Elle est remarquable par le dédale de profondes vallées escarpées dont elle est sillonnée, et on pense qu'elle fut formée par les mouvements des plaques tectoniques, il y a des millénaires. En outre, de nombreux canyons présentent une structure de grabens typique, et il est possible de constater que la composition de surface des plateaux supérieurs a clairement été préservée sur le plancher des vallées.

Dalia fronça les sourcils, essayant de comprendre ce que cette région désolée de Mars pouvait avoir à faire avec ce que Jonas lui avait dit.

— C'est une région déserte ?

— Plus ou moins, répondit Caxton. La forge de l'adepte Lukas Chrom est installée au sud de cette zone, mais à part lui, nous sommes la forge la plus proche.

— Donc il n'y a personne là-bas ?

— C'est une région qui n'intéresse personne ou presque, répondit Mellicin. D'après ce qu'on m'a dit, un certain nombre d'adeptes ont essayé d'y installer leur forge, mais aucun n'y est resté bien longtemps.

— Pourquoi ?

— Je n'en sais rien. Ils sont juste partis. À ce que j'ai entendu dire, les forges auraient eu des problèmes techniques en série. Les adeptes qui ont essayé ont fini par déclarer que la région était hostile aux esprits des machines, et ils ont abandonné leurs projets pour aller s'établir ailleurs.

— Et personne ne sait ce qui s'y trouve ? insista Dalia. Ce dont parlait Jonas doit se trouver quelque part là-dedans, forcément. Le grand mensonge et la grande vérité.

— C'est possible, admit Mellicin, mais à ton avis, de quoi voulait-il parler ? As-tu la moindre idée de ce que ce... dragon que l'Empereur est censé avoir tué pourrait être ?

Dalia se pencha en avant au-dessus de la table.

— Je ne sais pas exactement de quoi il s'agit, mais j'ai fouillé dans mes souvenirs à la recherche de références que j'aurais pu trouver dans les textes que je transcrivais sur Terra, et j'ai trouvé quelques pistes.

— Comment ça ? dit Séverine avec curiosité.

— Eh bien, Jonas a parlé de l'Empereur tuant le dragon de Mars, et j'ai commencé par chercher des références aux dragons.

— Tu as cherché où ?

—Tu sais bien, dans ma mémoire, répondit Dalia. Je t'ai raconté comment je lis des choses et je ne les oublie jamais.

Mellicin sourit.

— C'est un talent fort utile, Dalia. Continue.

— Oui, voilà, est-ce que vous avez tous entendu parler des mythes au sujet des dragons ?

— Bien sûr, intervint Zouche. Ce sont des histoires pour les enfants.

Dalia secoua la tête.

— C'est vrai. Mais je pense que Jonas avait autre chose en tête lorsqu'il m'a dit cela. En tout cas, pour une partie de ses paroles. Je veux dire que oui, bien sûr, j'ai trouvé des tas d'histoires de chevaliers héroïques en armures étincelantes qui tuaient des dragons et sauvaient des demoiselles en détresse puis les épousaient.

— Caricatural ! coupa Séverine avec un reniflement de mépris. On ne connaît aucune histoire où une demoiselle sauve un homme des griffes d'un dragon.

— Non, c'est vrai, lui concéda Dalia. J'imagine que cela ne devait pas cadrer avec l'époque où ces histoires ont été écrites.

— Continue, Dalia, l'encouragea Mellicin. Qu'as-tu découvert d'autre ?

— Pas grand-chose de factuel, mais je me souviens de plusieurs traités qui se prétendaient historiques, mais qui relevaient probablement plus de la mythologie, puisqu'il s'agissait d'ouvrages qui parlaient de monstres comme les dragons et les démons tout en décrivant l'ascension de divers seigneurs de guerre et tyrans.

— Tu te souviens des titres de ces livres ? demanda Zouche.

Dalia acquiesça de la tête.

— Les plus importants étaient Les Chroniques d'Ursh, le Revelati Draconis et L'Obyte Fortis. Ces livres parlaient tous de dragons, de grands monstres perfides et sinueux, qui soufflaient le feu et enlevaient de belles damoiselles afin de les dévorer.

— Je connais ces histoires, dit Caxton. Je les ai lues quand j'étais enfant. Plutôt sanglantes, mais vraiment passionnantes.

— Je les ai lues, moi aussi, ajouta Zouche. Mais pour mon peuple, ce sont plus que des légendes. Selon les enseignements des érudits de Nusa Kambangan, il s'agit de contes allégoriques qui racontent l'avènement de l'Empereur, des représentations symboliques des forces de la lumière triomphant des ténèbres.

— C'est exactement ça ! s'écria Dalia, enthousiaste. Le tueur représente un être divin tout-puissant, et le dragon symbolise les dangereuses forces du Chaos et de la sédition. Le héros qui abat le dragon est le symbole de l'émergence de la conscience et de l'individualité... le symbole de l'évolution vers la maturité.

— Mais pourquoi est-ce que ça ne peut pas rester de simples histoires ? s'exclama Caxton. Pourquoi faut-il que tout ait toujours une signification ?

Dalia l'ignora et poursuivit.

— Le point commun de toutes ces histoires, c'est que le dragon, même s'il est battu, n'est jamais complètement détruit et que, d'une manière ou d'une autre, il se trouve sublimé pour prendre une forme qui permet à la bonté et à la vie intelligente de pénétrer dans le monde grâce à sa défaite.

— Qu'est ce que ça peut bien vouloir dire ? intervint Séverine.

—Voilà comment ça se présente, répondit Dalia dont les mains s'agitaient dans les airs avec passion, comme pour ponctuer ce qu'elle voulait dire. Dans le Revelati Draconis, l'auteur décrit comment un dieu du ciel armé d'éclairs tue un dragon afin de libérer les eaux qui nourriront le monde. Une autre histoire parle d'une déesse serpent assassinée qui détenait de mystérieuses tablettes, et dont le corps est utilisé pour créer le ciel et la terre.

— Oui, c'est vrai, coupa Caxton. Et il y a une histoire dans Les Chroniques d'Ursh au sujet de créatures... les Unkerhi, je pense qu'ils s'appelaient comme ça, qui furent anéantis par le «guerrier du tonnerre». D'après cette histoire, leurs restes sont devenus une chaîne de montagnes, quelque part sur le continent méricain.

— Exactement, dit Dalia. Il y a une note de bas de page, vers la fin des Chroniques, dans laquelle l'auteur parle d'une race de créatures connues sous le nom de Fomoriens qui sont décrites comme des êtres capables de contrôler la fertilité de la terre.

— Laisse-moi deviner, intervint Zouche. Ils furent vaincus, mais pas détruits, parce que leur existence devait être préservée pour le bien du monde.

— Du premier coup ! s'exclama Dalia.

— Mais qu'est-ce que ça veut dire pour nous ? insista Séverine. C'est très intéressant, tout ça, mais pourquoi aurions-nous besoin d'un inhibiteur vox pour parler de dragons ?

— Ce n'est pas évident ? répondit Dalia avant de se souvenir que ses amis ne possédaient pas les mêmes facultés de mémorisation innée qu'elle-même. Il est clair que ces forces vaincues, ces dragons, étaient considérées comme des entités de grande valeur, et il s'ensuit que ces auteurs de l'antiquité avaient compris que le conflit entre dragon et tueur de dragon ne se résumait pas au génocide de l'un ou de l'autre, mais à une lutte éternelle. Pour le bien du monde, les deux forces devaient pouvoir exprimer leur puissance pour que l'équilibre soit préservé. Ces ennemis séculaires eux-mêmes avaient besoin les uns des autres.

— Ton raisonnement signifie que c'est la lutte et non la victoire qui fournit les conditions nécessaires pour que le monde puisse exister, conclut Mellicin.

Dalia lui adressa un immense sourire.

— Oui. C'est comme l'été et l'hiver. Un éternel été carboniserait le monde, mais un éternel hiver le ferait geler à mort. C'est leur alternance qui permet à la vie de se développer et de prospérer.

— Alors je te repose ma question. Où veux-tu en venir avec tout ça ?

Incertaine, Dalia examina les visages de ses amis l'un après l'autre, ne sachant comment formuler ce qu'elle avait à leur confesser. Allaient-ils la croire ou penseraient-ils que son plongeon dans les énergies aveuglantes de l'Astronomican lui avait fait perdre la tête ? Elle prit une profonde inspiration et décida qu'elle en avait trop dit pour reculer à présent.

— Lorsque j'étais dans le coma, après l'accident, je pense... je pense que je suis devenue une partie de quelque chose d'autre, d'une autre conscience beaucoup plus vaste que la mienne. J'ai eu la sensation que mon esprit se détachait de mon corps.

— Une hallucination qui t'a fait croire que tu étais sortie de ton corps, énonça Zouche. Très commun dans une expérience de mort imminente.

— Non, répondit Dalia. C'était plus que ça. Je ne trouve pas d'autres mots pour l'exprimer, mais c'était comme si le décodeur akashique avait permis à mon esprit de... se lier à une entité très ancienne. Je veux dire, vraiment ancienne, plus vieille que cette planète ou que n'importe quoi d'imaginable.

— Tu penses qu'il s'agissait de quoi ? demanda Mellicin.

— Je pense que c'était le dragon dont parlait Jonas.

— Le dragon tué par l'Empereur ?

— C'est ça, dit Dalia. Je pense qu'il n'est absolument pas mort. Je pense que c'est ce que Jonas essayait de me dire. Le dragon de Mars vit toujours sous le Noctis Labyrinthus... et j'ai besoin de votre aide pour le retrouver.

 

Il ouvrit les yeux et essaya de crier en sentant le poignard acéré de la douleur lui labourer la poitrine une nouvelle fois. Il se débattit, battant des paumes contre une surface vitrée et glissante, avec des mouvements lents et poisseux. Le monde était rosâtre et flou, et il battit des paupières pour essayer d'y voir plus clair. Il leva la main pour s'essuyer les yeux et eut la sensation de nager dans une eau visqueuse, presque pâteuse.

Une forme glissa en périphérie de son champ de vision. C'était humanoïde, mais il ne parvenait pas à la voir clairement.

Il avait mal à la tête, et son corps lui semblait inexprimablement pesant, malgré le fait qu'il semblait flotter sur un fluide qui le supportait. Tout son corps était perclus de douleurs diffuses, mais cela n'était rien comparé à la tristesse écrasante qui lui serrait le cœur comme dans un étau.

Il se souvenait d'avoir dormi, ou tout au moins d'avoir traversé des périodes d'obscurité où la douleur était moins vive, mais rien n'avait pu véritablement alléger l'abominable chagrin qu'il ressentait. Il savait qu'il s'était déjà réveillé dans cet endroit et qu'il avait entendu des bribes de conversations lointaines. Il avait entendu les mots « miracle », « mort cérébrale», «infarctus». Hors de leur contexte, ces mots lui avaient paru sans signification, mais il savait qu'ils avaient été prononcés en relation avec sa condition.

Il cligna des paupières en entendant de nouvelles paroles. Il lutta pour leur donner un sens.

En s'obligeant à se concentrer sur la voix, il nagea dans la gelée fluide qui constituait tout son univers.

La silhouette parla à nouveau, ou du moins lui sembla-t-il l'avoir entendue parler. Sa voix était douce, sans substance, comme filtrée à travers un transmetteur augmentique défaillant.

Il se poussa en avant jusqu'à ce que son visage soit pressé contre un épais vitrage. Sa vision se brouilla, puis devint plus nette, et il aperçut une chambre stérile, dallée de céramiques polies, et des lits métalliques. Des appareils qui ressemblaient à des araignées pendaient du plafond, et il y avait des cuves vitrées et emplies d'un fluide installées dans des alvéoles bordées de cuivre, dans le mur d'en face.

Debout devant lui, une jeune femme en robe bleu et argent le regardait. Sa silhouette ondula à travers le liquide, mais elle lui sourit, et il ressentit un plaisir pathétique à cette vision.

— Princeps Cavalerio, pouvez-vous m'entendre ? dit-elle.

Ses paroles résonnèrent soudainement, très claires.

Il essaya de lui répondre, mais il avait la bouche pleine de liquide et des bulles montèrent de ses lèvres lorsqu'il essaya d'émettre un son.

— Princeps ?

— Oui, répondit-il enfin, ayant retrouvé la capacité de s'exprimer.

— Il est réveillé, dit la jeune femme.

Ces paroles s'adressaient à une autre personne dans la pièce. Il entendit le soulagement dans son intonation et se demanda pour quelle raison elle semblait si heureuse de l'entendre parler.

— Où suis-je ? dit-il.

— Vous êtes à l'antenne medicae, princeps.

— Medicae ? Où ?

— À Ascraeus Mons. Vous êtes chez vous.

Ascraeus Mons... la montagne fortifiée de la Legio Tempestus.

Oui, il était chez lui. C'était ici qu'il avait officiellement reçu sa princepture, près de deux siècles auparavant. C'était ici qu'il se trouvait lorsqu'il était monté pour la première fois dans l'ascenseur grinçant qui l'avait mené au cockpit de...

La douleur revint, aiguë, lui transperçant la poitrine, et il haleta en aspirant une pleine goulée de fluides oxygénés. Sa raison consciente se rebella à l'idée de respirer du liquide, mais son corps savait déjà fort bien qu'il survivrait à l'expérience, et sa panique céda graduellement. La douleur, elle, ne diminua pas.

— Qui êtes-vous ? dit-il une fois qu'il eut repris son souffle.

— Je me nomme Agathe et j'ai été désignée pour être votre Famulous.

— Famulous ?

— Une assistante, si vous préférez. Je suis là pour répondre à vos besoins.

— Pour quelle raison aurais-je besoin d'une Famulous ? Je ne suis pas un infirme !

— Avec tout le respect que je vous dois, mon princeps, vous venez tout juste de vous éveiller de ce qui a dû être une expérience de séparation extrêmement traumatique. Vous aurez besoin d'aide pour vous réadapter. Je suis là pour cela.

— Je ne comprends pas, articula Cavalerio. Comment me suis-je retrouvé ici ?

Agathe hésita. Elle semblait clairement réticente à répondre à cette question.

— Peut-être pourrions-nous discuter de cela un peu plus tard, mon princeps ? dit-elle finalement. Lorsque vous aurez eu un peu de temps pour vous habituer à votre nouvel environnement.

— Répondez-moi, bon sang ! hurla-t-il en frappant la vitre du poing.

Agathe détourna le regard en direction de l'autre personne qui se tenait dans la pièce, invisible, et ses tergiversations ne firent que l'enrager un peu plus.

— Ne regardez pas ailleurs, ma petite ! gronda Cavalerio. Je suis le Seigneur des tempêtes, et vous, vous allez me répondre !

— Très bien, mon princeps, répondit la jeune femme. De quoi vous souvenez-vous ?

Il fronça les sourcils, et des bulles montèrent lentement devant son visage tandis qu'il réfléchissait, essayant de retrouver ses derniers souvenirs avant son réveil.

Le monstre démesuré de la Legio Mortis marchait droit sur lui.

La furieuse brûlure lorsque le cœur de Victorix Magna s'était brisé sous la contrainte.

Le cri d'agonie du magos Argyre qui avait rendu l'âme au même instant.

Un abysse béant, noir comme la nuit, qui l'avait aspiré vers les ténèbres.

Une douleur flamboyante, insoutenable, traversa la poitrine du princeps Cavalerio tandis qu'il revivait la mort de sa machine, et ses larmes invisibles se perdirent dans le fluide teinté de sang de sa cuve amniotique.

Mechanicum
titlepage.xhtml
05 McNEILL,Graham-L'Heresie d'Horus, Tome 8 Mechanicum Le savoir c'est le pouvoir (2009)final_split_000.htm
05 McNEILL,Graham-L'Heresie d'Horus, Tome 8 Mechanicum Le savoir c'est le pouvoir (2009)final_split_001.htm
05 McNEILL,Graham-L'Heresie d'Horus, Tome 8 Mechanicum Le savoir c'est le pouvoir (2009)final_split_002.htm
05 McNEILL,Graham-L'Heresie d'Horus, Tome 8 Mechanicum Le savoir c'est le pouvoir (2009)final_split_003.htm
05 McNEILL,Graham-L'Heresie d'Horus, Tome 8 Mechanicum Le savoir c'est le pouvoir (2009)final_split_004.htm
05 McNEILL,Graham-L'Heresie d'Horus, Tome 8 Mechanicum Le savoir c'est le pouvoir (2009)final_split_005.htm
05 McNEILL,Graham-L'Heresie d'Horus, Tome 8 Mechanicum Le savoir c'est le pouvoir (2009)final_split_006.htm
05 McNEILL,Graham-L'Heresie d'Horus, Tome 8 Mechanicum Le savoir c'est le pouvoir (2009)final_split_007.htm
05 McNEILL,Graham-L'Heresie d'Horus, Tome 8 Mechanicum Le savoir c'est le pouvoir (2009)final_split_008.htm
05 McNEILL,Graham-L'Heresie d'Horus, Tome 8 Mechanicum Le savoir c'est le pouvoir (2009)final_split_009.htm
05 McNEILL,Graham-L'Heresie d'Horus, Tome 8 Mechanicum Le savoir c'est le pouvoir (2009)final_split_010.htm
05 McNEILL,Graham-L'Heresie d'Horus, Tome 8 Mechanicum Le savoir c'est le pouvoir (2009)final_split_011.htm
05 McNEILL,Graham-L'Heresie d'Horus, Tome 8 Mechanicum Le savoir c'est le pouvoir (2009)final_split_012.htm
05 McNEILL,Graham-L'Heresie d'Horus, Tome 8 Mechanicum Le savoir c'est le pouvoir (2009)final_split_013.htm
05 McNEILL,Graham-L'Heresie d'Horus, Tome 8 Mechanicum Le savoir c'est le pouvoir (2009)final_split_014.htm
05 McNEILL,Graham-L'Heresie d'Horus, Tome 8 Mechanicum Le savoir c'est le pouvoir (2009)final_split_015.htm
05 McNEILL,Graham-L'Heresie d'Horus, Tome 8 Mechanicum Le savoir c'est le pouvoir (2009)final_split_016.htm
05 McNEILL,Graham-L'Heresie d'Horus, Tome 8 Mechanicum Le savoir c'est le pouvoir (2009)final_split_017.htm
05 McNEILL,Graham-L'Heresie d'Horus, Tome 8 Mechanicum Le savoir c'est le pouvoir (2009)final_split_018.htm
05 McNEILL,Graham-L'Heresie d'Horus, Tome 8 Mechanicum Le savoir c'est le pouvoir (2009)final_split_019.htm
05 McNEILL,Graham-L'Heresie d'Horus, Tome 8 Mechanicum Le savoir c'est le pouvoir (2009)final_split_020.htm
05 McNEILL,Graham-L'Heresie d'Horus, Tome 8 Mechanicum Le savoir c'est le pouvoir (2009)final_split_021.htm
05 McNEILL,Graham-L'Heresie d'Horus, Tome 8 Mechanicum Le savoir c'est le pouvoir (2009)final_split_022.htm
05 McNEILL,Graham-L'Heresie d'Horus, Tome 8 Mechanicum Le savoir c'est le pouvoir (2009)final_split_023.htm
05 McNEILL,Graham-L'Heresie d'Horus, Tome 8 Mechanicum Le savoir c'est le pouvoir (2009)final_split_024.htm
05 McNEILL,Graham-L'Heresie d'Horus, Tome 8 Mechanicum Le savoir c'est le pouvoir (2009)final_split_025.htm
05 McNEILL,Graham-L'Heresie d'Horus, Tome 8 Mechanicum Le savoir c'est le pouvoir (2009)final_split_026.htm
05 McNEILL,Graham-L'Heresie d'Horus, Tome 8 Mechanicum Le savoir c'est le pouvoir (2009)final_split_027.htm
05 McNEILL,Graham-L'Heresie d'Horus, Tome 8 Mechanicum Le savoir c'est le pouvoir (2009)final_split_028.htm
05 McNEILL,Graham-L'Heresie d'Horus, Tome 8 Mechanicum Le savoir c'est le pouvoir (2009)final_split_029.htm
05 McNEILL,Graham-L'Heresie d'Horus, Tome 8 Mechanicum Le savoir c'est le pouvoir (2009)final_split_030.htm